Quête du sens, quiétude des sens

Un article de Pierre Blanc-Garin pour le CEECA Nouvelle-Aquitaine

fidélisation
La fidélisation des jeunes générations en entreprise

Difficultés, chômage, inflation, récession, crises, conflits, guerre. Le champ lexical des médias d’actualité n’est à l’heure actuelle pas des plus gais. Intrinsèquement lié à l’activité économique du pays, le marché du travail n’est pas épargné par ces bouleversements externes, que l’on peut ajouter à ses bouleversements internes à ne pas négliger.

Quiet quitting, grande démission, nouvelle organisation du travail et nouvelle valeur du travail. Comment inverser cette tendance négative, et contribuer d’une part à l’attractivité du secteur qui nous intéresse aujourd’hui, l’expertise-comptable ? Et comment d’autre part favoriser la fidélisation des nouvelles générations et pérenniser sur le long terme un vivier humain aussi important qu’il peut être volatile ?

Nous vous parlions il y a quelques temps de l’avenir du cabinet d’expertise-comptable. Mais qu’en est-il des jeunes générations qui en seront les principales actrices ?

A l’origine de cette réflexion se trouve un article des Echos START : « Générations infidèles, vraiment ? Et si les entreprises n’activaient pas les bons leviers pour retenir les talents… » qui nous servira de base d’étude sur la question de la fidélité en entreprise, et donc en cabinet. A celui-ci nous ajouterons un corpus d’articles variés, traitant du constat actuel de la conception de la fidélité en entreprise, des leviers de motivation ou encore de l’avenir dont ces nouvelles générations sont le porte-étendard. Maurice Thévenet est l’auteur principal de ces chroniques, professeur à l’ESSEC Business School et chercheur en culture d’entreprise, management et leadership.

Trois points de vue ici s’opposent, se lient et se répondent : la génération Z, le management et l’entreprise. Dans un débat séculaire et en constante mutation, nous tentons aujourd’hui de trouver des clés pour concilier les nouvelles problématiques en Ressources Humaines rencontrées par les entreprises, notamment en matière de fidélisation, avec les attentes et revendications des futurs actifs de notre société.

I/ LE CONSTAT ACTUEL

A. Générations infidèles : la conception de la fidélité

Commençons par une définition. Des jeunes générations nous parlons principalement de la génération Z, qui désigne « les jeunes nés après 1995 et portés par la 4ème révolution industrielle » comme nous le rappelle Les Echos.

Cette dernière, également appelée Industrie 4.0, est le prolongement de la 3ème révolution (vous arrivez à suivre ?) qui comprend l’automatisation et le développement des systèmes d’information et du numérique dans les activités de production. L’Industrie 4.0 est donc dans sa forme idéale la « convergence du monde virtuel, de la conception numérique, de la gestion (opérations, finances et marketing) avec les produits et objets du monde réel ».

De fait, résumer la génération Z comme uniquement avide de technologies futiles telles que Tiktok paraît réducteur, et nous explique plutôt pourquoi elle impose peu à peu « une remise en cause des pratiques de management » en entreprise. Cette remise en cause s’explique notamment avec sa propre vision du rapport à la fidélité : « les jeunes ne semblent plus sacraliser l’entreprise ».

A l’ère de l’Information, dans un monde ultra-connecté et de la « culture de l’instantanéité », la génération Z ne conçoit plus l’entreprise comme les générations précédentes, ni ne s’y projette à long-terme. A nouveau point de vue de l’entreprise, nouveau point de vue de la fidélité. Quelles en sont ses dimensions ? Par une étude de cas dans une grande enseigne de sport « réputée attractive pour les jeune », les Echos en dresse 5 principales.

  • La dimension émotionnelle : la recherche d’un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle est une volonté de plus en plus assumée depuis plusieurs années par les jeunes générations. C’est l’addition d’un troisième facteur, la recherche de sens, qui est le véritable enjeu à saisir pour les entreprises.
  • La dimension sociale : le besoin d’intégration au groupe et la fierté d’appartenance à l’organisation. Comme pour la dimension émotionnelle, l’entreprise n’est plus un simple moyen d’assurer sa sécurité financière.
  • La dimension collaborative : le cadre de l’entreprise ne concerne plus uniquement l’individu, mais bien le collectif par lequel vivent des projets variés dans lesquels les jeunes peuvent prendre des responsabilités ensemble, en équipe.
  • La dimension intrapreunariale : pouvoir choisir son propre parcours au sein de l’entreprise, mais aussi en être acteur, et ne plus être tributaire de la seule direction organisationnelle de la direction.
  • La dimension éthique : la recherche de sens passe également par le besoin d’utilité sociale, qui ne s’exerce plus uniquement dans la sphère privée mais aussi en entreprise, nouveau lieu de défense des causes environnementales ou sociales.

Il apparait évident aujourd’hui que l’entreprise à papa individualiste et patriarche, au management vertical et à l’organisation du travail en silo n’est plus d’actualité pour les jeunes générations. Au-delà du travail-passion – parfois simple rêve parfois inaccessible – trouver du sens dans son travail semble être le meilleur moyen de concilier une activité professionnelle qui n’est plus le centre névralgique de la vie des collaborateurs, avec la réalisation quotidienne des valeurs portées par les collaborateurs, et donc d’accroitre la fidélisation.

B. Le purpose, une naissance sous X, Y et Z : les enjeux du purpose

Dans sa chronique « Le purpose, une naissance sous X, Y et Z » Maurice Thévenet, professeur à l’ESSEC BS et chercheur, nous propose une analyse du purpose, le but (à atteindre), du côté managérial cette fois-ci. En nous rappelant tout d’abord les enjeux du purpose puis en nous en donnant une définition personnelle en trois dimensions.

Alors qu’on pourrait, à juste titre, regretter l’anglicisme comme l’auteur, le purpose n’en est pas moins une réalité pour les salariés mais également les dirigeants et les entreprises. Ces derniers ne doivent pas prendre ce sujet à la légère, qui soulève de « vraies interrogations managériales et des situations problématiques auxquelles les dirigeants doivent se confronter », clé de voute de la fidélisation dans les entreprise. L’auteur dégage trois enjeux principaux à saisir.

« Le premier enjeu consiste à répondre aux besoins de la société au sens large, ou de certaines parties prenantes en particulier ». Urgence climatique, exploitation humaine, autant d’exemples de causes qui touchent les individus au niveau mondial mais également les entreprises qui y participent activement. L’impact des activités de production n’est aujourd’hui plus négligeable et l’impunité n’est plus de mise.

Valable pour les grands groupes, c’est également le cas pour les petites et moyennes entreprises, dont les salariés des nouvelles générations attendent également un investissement et des efforts dans les causes qu’ils défendent. L’exemple de la taxe pollueur-payeur ne suffit plus. Comme l’affirme M. Thévenet « Quant aux employés potentiels, sans parler des clients, ils ne se satisferont plus d’un simple respect de la loi de la part des entreprises ; celles-ci doivent faire plus et de nombreux acteurs comme les ONG se font fort d’exiger d’elles des bilans et des engagements ».

Le deuxième enjeu managérial est la gestion de la communication publique de l’entreprise sur ces sujets. « Il s’agit de travailler à l’image de l’entreprise auprès des parties prenantes, de développer un capital de confiance avec l’extérieur ». On l’a vu plus haut, la rémunération n’est plus le critère fondamental de choix d’une entreprise pour les jeunes générations, mais plutôt l’adéquation entre leurs valeurs et celles de l’entreprise. Pour ces dernières, travailler sur ces enjeux qui dépassent leur métier premier c’est s’assurer une image de marque et une marque-employeur valorisée et valorisante auprès du public, les éléments-clés d’une fidélisation efficace.

Le troisième enjeu « est plus traditionnel ». En parallèle de l’implication sociétale et de la communication externe, il est évident que le purpose en entreprise participe à « fédérer l’interne autour de notions qui rassemblent, clarifient la logique de l’entreprise, de sa stratégie et de son fonctionnement ». Au-delà des luttes intergénérationnelles et internationales, cette notion de sens permet de « rassembler » et donc encore une fois de renforcer la fidélisation.

C. Les dimensions du purpose

Avant de présenter les dimensions du purpose, M. Thévenet nous en propose une définition du Longman Dictionnary : « [le purpose] évoque à la fois ce qu’une activité est censée accomplir mais aussi la détermination à réussir dans ce que l’on veut faire ». Pour parfaire et compléter une définition qui ne sera jamais totalement satisfaisante, l’auteur nous décrit le purpose sous la forme de trois entités, les personnes X, Y et Z, qui représentent selon lui trois réalités indissociables du purpose.

La personne X « est ce que l’entreprise est censée apporter à l’extérieur, le produit ou service attendu ». C’est ce que l’on pourrait appeler raison d’être ou promesse de l’entreprise, à destination du public. Il faut bien séparer cette notion d’objectif, qui lui est interne, de la promesse « qui permet de toujours se souvenir qu’une entreprise n’est pas faite pour ceux qui sont à l’intérieur mais pour ceux qui sont à l’extérieur ».

La personne Y « est le fruit de l’expérience de l’entreprise et de son histoire », en résumé sa culture. C’est elle qui assure le vivre ensemble dans l’entreprise, véritable mémoire collective et garante des valeurs partagées par tout un chacun en son sein. « La culture invite à honorer le temps sans se laisser abuser par les séductions de l’immédiateté ; plutôt que de la changer il s’agit d’en renforcer les forces. »

La personne Z « concerne la responsabilité au sens le plus fort du terme ». Celle « du projet, de la mission, de la vision, de la cause que veut défendre l’entreprise, du purpose peut-être, de son engagement à « bien » faire son travail. » Implicite, la personne Z rappelle à chacun à tout instant et particulièrement aux dirigeants que ne pas se questionner sur le sens, « sur ce qui est au-delà de son activité quotidienne » c’est risquer l’égarement et la désaffection, tant au niveau du public que de l’interne.

Nous venons de le voir avec cette présentation tridimensionnelle, la fidélisation en entreprise pour les nouvelles générations n’est pas chose aisée. Aucun de ces trois niveaux, salarié, management et entreprise, ne doit être écarté lorsqu’il s’agit de travailler sur cette problématique.

Après avoir présenté les enjeux, nombreux, de cette fidélisation nous vous donnons rendez-vous dans la deuxième partie de cet article pour identifier les leviers de motivation et comment agir sur ces derniers dans l’entreprise.

La fidélisation des jeunes générations en entreprise : Partie 1 – Etat des lieux, CEECA